Shibari.

Cette rencontre est un peu atypique. A l’image de l’expérience qu’elle m’a permise de vivre.

Tout a commencé par un commentaire de ma part laissé sous une photo. M., l’auteur, le remarque puis consulte mon profil pour finalement me proposer de poser pour lui…

Il est encordeur depuis plus d’une dizaine d’années mais également urbexeur. Ses productions mélangent les deux. Le kinbaku est une expérience qui me tente dans l’absolu, mais je n’imaginais pas qu’une telle proposition arriverait aussi rapidement. Etant dans l’optique de saisir les opportunités lorsqu’elles allument la petite flamme en moi, je me dis que c’est l’occasion de tester.

Comme je ne suis pas forcément très à l’aise avec le lâcher-prise hors sexualité, ce sera l’occasion de m’y confronter.

Je pars donc pour un long périple dans le sud de la France. Lorsque j’arrive, j’aperçois la Méditerranée et cela me fait monter les larmes tant le spectacle est magnifique. Mes montagnes sont bien loin.

Nous avons deux jours pour mener à bien notre projet photographique, dont j’ai été partie prenante à chaque étape : choix du lieu, choix du contenu… je me suis sentie respectée et écoutée.

La première journée est consacrée à la découverte du shibari et particulièrement des règles de sécurité et de l’importance de communiquer à tout moment. Puis on passe au premier encordage. Je trouve ça étrange, la sensation des cordes qui serrent. Comme je suis très fine et qu’il faut vraiment bien chercher mes couches de graisse, ce n’est pas simple car c’est vite inconfortable. Je marque beaucoup et longtemps. A chaque étape, M. s’adapte et trouve des solutions. Sa patience infinie m’impressionne, moi qui suis si impulsive. Vient le moment de me suspendre. Je trouve ça franchement désagréable. Chaque partie de ma peau en contact avec la corde est douloureuse, comme si elle cisaillait dans ma chair. Ca brûle. Et à la fois cette sensation d’apesanteur est vraiment incroyable.

Nous ferons deux autres suspensions dans l’après-midi. Ca me rassure : la douleur disparait peu à peu, je me sens plus à l’aise, je sais plus à quoi m’attendre. Moi qui suis tout le temps à 100 à l’heure, je suis complètement détendue et tranquille après une séance, comme après un joint, c’est totalement incroyable tant la sensation est identique, d’ailleurs ça m’amuse beaucoup. Nous répétons une fois pour le live que nous avons prévu le soir : il m’a proposé cela car c’est un homme de scène et je trouve cette idée géniale et complètement décalée. C’est une réussite, nous sommes satisfaits, nous débriefons avec les « voyeurs », c’est un très beau moment.

Le lendemain, nous avons prévu de partir sur site et d’attaquer les choses sérieuses.

Nous sommes au mois de février mais les températures sont plutôt douces. J’en suis soulagée car je crains énormément le froid… mais plus nous approchons du lieu du shooting, plus la température baisse et je vois même de la neige au sol… je jette un coup d’œil furtif au thermomètre dans la voiture : il indique 5°C. Je me demande clairement dans quel bourbier je me suis fourrée. Mais je me suis engagée, j’irais au bout.

Nous pénétrons dans le bâtiment munis de gros sacs à dos contenant tout le matériel nécessaire. M. me fait rapidement faire le tour, me demande quels endroits m’inspirent. Le soleil donne à l’intérieur et réchauffe un peu l’atmosphère. Il installe le nécessaire, je me prépare. Son organisation est quasi-militaire, rien n’est laissé au hasard, il sait parfaitement où se trouve quoi, c’est quelque chose que j’apprécie beaucoup. Et c’est à moi de travailler maintenant. C’est parti pour la première série.






Puis nous changeons de spot après m’être un peu réchauffée. Je sens que plus le temps passe, plus l’humidité des lieux me pénètre profondément. Je sais que le plus dur reste à venir. On continue. Le soleil tourne rapidement et les températures baissent significativement. J’entends le vent s’engouffrer par les fenêtres cassées avant de le sentir sur chaque millimètre de ma peau. Et pourtant quand M. me montre le résultat, c’est si beau que je ne regrette rien.



Il me donne une astuce pour me réchauffer rapidement… c’est très efficace. Il faut cependant y retourner. L’alternance chaud-froid est difficile à vivre.

 



Nous faisons une pause-repas, chauffage à fond dans sa voiture. Je sais qu’après est prévue la photo de shibari et mon appréhension ne cesse de grandir. Je le vois installer l’anneau à ce cadre de fenêtre, je vois la hauteur à laquelle je serais suspendue (une dizaine de mètres), moi qui ai le vertige, et là je me dis que je suis vraiment complètement folle. Je suis partagée entre l’envie de rire et celle de pleurer. Je me déshabille, d’abord le bas puis le haut, par étapes, M. cherche tous les moyens pour me protéger du froid jusqu’au bout. Puis il est temps, il faut se lancer. A cet instant précis le froid est tellement intense que je ne ressens plus la peur, je suis clairement ailleurs. Je suis dans un état second, un état de conscience modifiée, c’est quelque chose que je connais bien. Je suis là mais je ne suis pas là. Je suis partout dans la pièce. C’est très particulier à décrire. Et là, je sens mon corps qui est tracté, je sens les cordes contre mes hanches qui me soutiennent, je sens que M. noue très vite les dernières attaches, avec une dextérité absolument dingue, il saute du rebord de la fenêtre et c’est parti. Je tourne, je vois le vide en bas. Je ferme les yeux. C’est comme un arrêt sur image. Une respiration qu’on retient. Un moment suspendu, ce qui est vraiment le cas de le dire. Je me répète en boucle « j’espère que ça va rendre quelque chose de beau ». La durée de cet instant est minime, mais dans mon espace-temps à moi c’est une éternité. C’est la plus belle suspension que j’ai vécue, parce qu’elle était complètement extrême. Parce que j’ai totalement lâché.




M. accourt, me délivre aussi vite qu’il m’avait attachée. Je m’effondre dans ses bras, je pleure. Je réalise, j’ai peur à retardement, je suis aussi très fière de m’être dépassée à ce point, je suis submergée par l’émotion.

 

Tu les as méritées mes cordes.

 


Le soir, M. m’offrira une séance de bougies. J’ai adoré sentir la goutte de cire chaude tomber, puis changer de texture en refroidissant… la sensation d’être moulée dans la cire, un peu serrée, est vraiment hyper intéressante ; en plus du fait que ce soit une pratique très esthétique. Je suis décidément plus une fille de la chaleur…

 

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Avec le recul, je ne regrette absolument rien de cette expérience. Elle m’a fait clairement sortir de ma zone de confort à bien des égards : explorer de nouveaux lieux, des pratiques totalement inconnues et avec lesquelles je ne suis pas forcément confortable au premier abord, mener à bien un projet artistique malgré les difficultés, faire confiance, lâcher prise… c’était extrêmement intéressant par rapport à mon envie actuelle de découvrir des facettes de ma personnalité que je ne connais pas encore. J’ai dû faire preuve de patience, d’humilité, de constance, de tranquillité, j’ai dû faire confiance en l’autre. Toutes ces qualités sont en moi, simplement elles ne me sont pas familières car j’ai eu besoin d’autres choses pour survivre jusqu’à présent. Maintenant, je vis. Et il est nécessaire d’aller voir au-delà.

 

Merci M. pour cette expérience incroyable, merci pour ton accueil, ta sincérité, ton grand professionnalisme et au plaisir de te revoir… aux beaux jours ;)

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