Lettre à mon grand-père.

Comment ça se fait (...) que dans ma vie à moi

Avec autant d'amants, avec autant de choix

Je n'ai pas encore trouvé un homme comme lui

Capable d'être ami, père et mari ?

(Lynda Lemay)


Papi,


Cette lettre, je la repousse depuis des mois. Tu as beau t'être envolé il y a bientôt dix ans, la morsure de ton absence reste toujours aussi vive. C'était hier que maman était en larmes au téléphone, que j'ai compris et que j'ai couru à l'hôpital... pendant quelques heures, je suis devenue la mère de ma mère, redevenue petite fille qui allait perdre son papa. Ta mort a été un choc terrible pour moi. Choisir de ne pas te réanimer également. Je te pensais bêtement immortel, quelle idée de me détromper...


Avant tout, laisse-moi te dire merci. Pour m'avoir offert inconditionnellement ton amour. Pour tout ce que tu m'as appris. Pour ta gentillesse, ton rire qui raisonne encore dans ma mémoire. Tu as été un formidable père de substitution lorsque le mien était défaillant. Une île bienveillante au milieu de la tempête. Je ne lui en veux plus tu sais, j'ai compris combien cette vie était pour lui une mascarade et combien il était malheureux.  Tu as été un exemple d'homme juste et bon. Tu avais beaucoup de valeurs. Tu étais très croyant.


Je sais que tu aurais aimé être artiste. Tu en avais les capacités, mais la guerre en a décidé autrement. Tu aurais aimé avoir une grande famille, mais ta folle de femme ne l'a pas voulu. L'un et l'autre, tu l'aurais mérité pourtant, mais la vie n'est qu'une pute, que veux-tu que je te dise.


J'espère que tu m'as pardonné. D'avoir transformé le lieu de vie que tu aimais tant. Le quitter a été un vrai déchirement pour toi, je le sais. J'y ai fait de très mauvais choix. J'espère que tu vois les efforts surhumains que je fais pour remettre tout ça d'aplomb, seule. Pour que ce lieu retrouve la grandeur d'autrefois. J'ai plein de projets tu sais !

J'espère que tu m'as pardonné. D'être partie. D'avoir un temps abandonné ton héritage pour suivre l'homme que j'aimais et tenter de sauver ce qui était sauvable. Je sais aujourd'hui que c'était une terrible erreur. Tu ne l'aimais pas beaucoup mon ex-mari, peut-être avais-tu vu ce qui m'était alors invisible. Tu as détesté le jour de notre union. J'ai voulu exploser tous les codes et pour le traditionaliste que tu étais, c'était beaucoup trop. J'ai fui l'église au profil des bois, ma robe était rouge et "tu parles d'un mariage"... cela m'a beaucoup blessée, tu sais. C'était la première fois que je prenais le risque de déplaire à ma famille pour faire ce qui me semblait juste.

J'espère que tu m'as pardonné. Les mots terribles que j'ai eu pour ta femme lorsque tu nous as quittés. "La prochaine fois qu'on se verra tu seras entre quatre planches". Elle a été monstrueuse tu sais, c'était mérité. Je n'ai pas versé une larme lorsqu'elle a eu la bonne idée de quitter cette Terre, à peine deux ans plus tard. Je portais la vie Papi, c'était joyeux, ce deuxième enfant avait été tant espéré. Une merveilleuse petite fille, je suis sûre que vous vous seriez adorés. Elle est vive, fraîche, pétillante, pleine de rires et de joie. Je t'imagine sourire en la regardant tournoyer dans le jardin. Je lui ai donné comme deuxième prénom Marie, en hommage à l'histoire familiale et à cette vénération de la Vierge miraculeuse... Car elle aussi l'a protégée.


Et surtout, surtout... de là où tu es, j'espère que tu es fier de moi. Tu sais, j'ai relativement rien à foutre de ce que peuvent penser les autres, jusqu'à l'avis de ta propre fille que j'ai appris à ignorer bien souvent. Mais sincèrement, je souhaite de tout mon cœur que tu n'as pas honte de ce que je suis devenue, de mes choix, de ma vie. J'espère que tu trouves ma liberté belle, toi qui ne t'es pas autorisé cela. J'espère que mes mœurs t'amusent, toi qui a été si frustré dans tes rapports charnels. J'espère que tu trouves tes petits-enfants beaux et bien élevés. J'espère que tu ne me juges pas trop durement dans mes errances, mes expériences.


J'imagine que tu aimerais me voir retrouver un gentil mari. Pour qu'il prenne en charge ces tâches "d'hommes" que j'assure depuis presque deux ans, pour que je ne sois pas seule. Tondre, débroussailler, tailler les arbres, entretenir le potager, aller à la déchetterie, faire des travaux, tu te dis certainement que ce n'est pas pour moi. Et pourtant, c'est bien moi qui suis pleine d’égratignures, qui manie une tondeuse qui pèse la moitié de mon poids, qui pue le white spirit, qui creuse et qui suis couverte de poussière. C'est mon Chemin de croix à moi. C'est étrange mais ça me fait du bien, j'ai l'impression d'ainsi expier mes fautes. Et puis tu sais, ce que la société attend de moi, je m'y assois dessus avec mon très beau cul. Les hommes, ils ne font que de brefs passages dans ma vie, je leur ai trop donné par le passé pour m'ouvrir au premier qui pense pouvoir me posséder. J'ai suffisamment sacrifié pour que les prochaines années me soient consacrées.


Même si tu n'es physiquement plus là, il me suffit de penser à toi et je sais que tu es là, jamais bien loin. Tu veilles. Ton énergie est partout. J'ai planté dans mon jardin un amandier, arbre qui est à jamais lié à toi. Comme un symbole, comme un hommage, comme un remerciement de m'avoir légué ce lieu de vie si atypique. 

Peut-être que malgré moi je te garde ici. je t'empêche d'aller ailleurs. Si tu savais comme je donnerais cher pour te serrer une dernière fois dans mes bras et te dire combien tu me manques. Même si on ne s'est pas toujours compris, même si parfois on s'est affrontés, je t'ai énormément aimé et tu as beaucoup compté dans ma vie. Une part de toi est en moi. Je garde dans mon coeur le souvenir de ce bel homme élégant au regard gris, toujours bien coiffé, qui sentait l'eau de Cologne et le camphre. Qui me chantait "Ce petit chemin" et "L'amour est un oiseau rebelle" qu'on écoutait sur le tourne-disques du salon. Qui me faisait danser en montant sur ses pieds, moi qui n'ai jamais pesé bien plus lourd qu'une plume. Qui me faisait manger des pommes de terre cuites sous la cendre. Qui supportait mes milliers de questions sans sourciller. Ca n'a pas changé Papi, malgré le temps qui a passé j'ai toujours autant besoin de comprendre.

 

Un jour, dans longtemps j'espère, car même si bien souvent la vie me fait chier... je ne suis pas très pressée de la quitter, on se retrouvera. C'est la seule certitude que j'ai. Parce que les âmes qui se sont aimées très fort finissent toujours par se rejoindre.

Je te souhaite l'apaisement, la joie, la beauté, la légèreté, l'Amour.


Ton "Piou", ta "Cuinarelle".


Commentaires

  1. Bonjour !!! Ce fut un réel plaisir de vous lire.... Des souvenirs à la pelle me sont revenus !!! Pas tous heureux... Mais la plupart. Même les sales moments m'ont construit tel que je suis ! MERCI !!!! 😊POUR CET BREF INSTANT SUSPENDU DANS LE TEMPS, tel un papillon virevoltant dans l'air immobile

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  2. Merci Merci Merci.
    Je crois que je pourrai presque faire un copier coller pour envoyer cette lettre à mon grand père..
    Vous venez de me faire pleurer mais aussi sourire...
    C'est une chance d'avoir découvert votre bloc..
    J'ai beaucoup de gratitude pour Vous

    Fab

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. C'est juste terriblement émouvant, j'aurai tellement aimé pouvoir dire ces choses à ma maman avant qu'elle ne parte...
    Tes mots, ce texte m'ont donné envie de coucher mon ressenti quelque part...peu importe le support, j'ai juste besoin d'un pansement sur ce vide incommensurable qu'elle a laissé dans ma vie...
    Merci à toi, du fond du cœur🙏🏼
    eRiG

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    1. Je te peux que t'encourager à le faire, vraiment. Ça m'a fait énormément de bien.
      J'ai toujours ton expression dans ma bio, enfoiré 😉

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    2. J'en suis très fier ��
      Et puis ça claque "impératrice", je trouve que ça te va comme un gant ma chère ��
      J'ai dû quitter Twitter à cause d'elle, je n'arrivais plus à gérer... mais j'ai toujours continuer à te lire ici sans vraiment oser poster un commentaire...
      Mais là, tes mots m'ont donné du courage alors merci pour ça ����

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